Abstract : This paper describes two collaborative initiatives carried out respectively in Nice-East (2013-2016) and in Montpellier-North (2017-2019), coinciding with projects embedding research actors, school teachers and neighborhood librarians to fostering language acquisition and the socialisation of young children. After a brief presentation and historic, the author explains the procedures and the main findings of the studies operated, after which he discusses the mediation mechanisms envisaged as prefigurations of such joint actions.
Keywords : language ; collaboration ; education ; libraries ; schools ; socialization
1. En préambule
Sans aucunement relativiser la part des écoles dans l’accueil des tout premiers apprentissages, convenons qu’en dehors des usages intra- et inter-familiaux, le soutien des intervenant·e·s en petite enfance, sur le terrain, constitue un apport non négligeable. Pour beaucoup issu·e·s du travail social, de l’animation culturelle ou de la documentation, les professionnel·le·s concerné·e·s participent, quelquefois significativement, à la socialisation de l’enfant tout comme de ses acquisitions (Montiel-Overall & Jones, 2011 ; Provencher, 2014 ; De Bondt, Willenberg & Bus, 2020 ; Torterat et al., 2022). D’où les questions qui nous occuperont ici : sur quoi s’appuient, concrètement, les collaborations entre ces personnels, et quels en sont les éventuels profits pour les enfants et leur famille ?
Les recherches empiriques sur ces sujets fournissent de multiples démonstrations de l’opportunité d’un travail concerté, localement, autour de ces enjeux (voir par exemple Myre-Bisaillon et al., 2014 ; Canut, Masson & Leroy, 2018 ; Esmaeeli & Wagner, 2022). Si la mise à profit de ces collaborations, pour le jeune enfant comme pour ses parents, n’est pas sans conditions, on peut toutefois en présumer un certain rendement dès lors qu’elles sont à la fois portées par des préoccupations communes, et informées par plusieurs catégories d’acteurs.
Les pages qui suivent exemplifient brièvement deux matérialisations possibles de cette médiation, qui ne tient pas que du seul croisement des professions et des pratiques (cf. Torterat & Soulé, 2023). Les pistes ci-après envisagées correspondent, d’un côté, à la mutualisation d’« écrits de travail » (Lebon, Rinck & Torterat, 2019), de l’autre au partage d’une routine intra- comme extra-familiale. Ces configurations ont pour point commun, en l’occurrence, de s’ancrer dans un travail conjoint avec des bibliothécaires / ludothécaires de quartier, dont le rôle dans l’accueil de la Petite Enfance a été maintes fois décrit (Umlauf, 2005 ; Bonilla, Goldin & Salaberria, 2014 ; Bouland, 2020 ; Schmidt, 2020).
2. La part des bibliothèques
Chacun·e peut sans difficulté prendre la mesure des proportions dans lesquelles les bibliothèques et les ludothèques participent, au sein des milieux populaires, du « lien social » avec les usagers (Servet, 2010 ; Lopez, Caspe & Simpson, 2017). L’implication de ces institutions auprès du jeune public remonte en France à la seconde moitié du XIXe siècle, avec la conjugaison d’initiatives municipales et associatives, combinée à un essor assez spontané du « livre de jeunesse » dans le monde de l’édition. On note ainsi que les débuts des bibliothèques municipales, associatives et paroissiales s’accompagne d’un accroissement des collections, mais également d’un autre rapport des politiques culturelles à leurs publics. En témoignent, par exemple, les catalogues de la société laïque Franklin ou de la bibliothèque des Amis de l’instruction (Ezratty, 2015), de même que l’apparition de revues portant spécifiquement sur ces enjeux (Leleu, 2015).
Autant dire que nous ne dresserons pas ici l’historique d’un mouvement qui, en dépit de ses aléas, n’a fait que se confirmer au cours du XXe siècle. Celui-ci s’étant, comme beaucoup d’autres, généralisé à de nombreux pays dans le monde, il suffit pour s’en convaincre de consulter quelques projets plus ou moins récents tels que celui de Grande bibliothèque multimédia de Limoges (Riboulet, 1999), le projet « Langage, langues et culture » de la Direction des Familles et de la Petite Enfance de la Ville de Paris en 2018 (Salvi & Agbodjan, 2021), ou encore ceux, hors de France et pour illustration, d’« éveil des enfants au langage et à la lecture » par la médiation du livre de jeunesse au sein des bibliothèques du Danemark (Buchhave, 2004), et pour un exemple de mandat régional, cette fois-ci en Suisse, de la Bibliothèque des Jeunes de La Chaux-de-Fonds en association avec la Bibliothèque de la Ville (Vernez, 2019)1.
Dans le lien qu’elles entretiennent avec les écoles, les bibliothèques et les ludothèques ne se bornent pas à la seule fréquentation des élèves (accompagnés ou non par les équipes pédagogiques et les familles) : échanges de collections, expositions provisoires, partages de jeux de société font partie d’une série de médiations variées. Ce dialogue passe également, quand le contexte se révèle favorable, par des échanges autour des agendas et des événementiels culturels (conférences gesticulées, « mots parleurs », « arbres à mots », festivals des auteur·e·s, etc). Concernant les lectures croisées par exemple, suivant les termes de Daviron (2020) :
Les voix des bibliothécaires, leur chant épousent les mots ciselés par les auteurs : « le récit écrit donne à l’enfant des mots de notre langage commun pour qu’il puisse s’exprimer, être compris et comprendre. En s’appropriant les mots, l’enfant s’approprie les choses, les émotions qu’ils désignent, il s’approprie le monde », comme le soulignent Delange et Reuf (2005). La porte de l’imaginaire s’ouvre, et bientôt commencera la lecture, source d’autres rencontres, d’autres mondes à faire partager à son tour.
Les plus-values pour les apprentissages littéraciés des (jeunes) enfants portent de ce fait autant sur l’éveil culturel (tapis de contes, lectures interlangues, ouverture aux routines familiales, « sacs à histoires » : Gennaï & Cellier, 2016 ; Boutevin, Sauvaire & Torterat, 2021 ; Deroy-Ringuette, Montésinos-Gelet & Laplante, 2021), que sur des points plus spécifiques (travail sur les familles de mots, la narration, les répertoires de personnages…). À cela s’ajoute un éventuel (re)travail des apprentissages transversaux, parmi lesquels figurent les recoupements entre les récits, le feuilletage d’albums, ou encore la circulation d’anecdotes du quotidien. Dans cet esprit, les pistes évoquées infra soumettent, parmi bien d’autres, deux types de démarches collaboratives entre équipes pédagogiques, acteurs de la recherche et bibliothécaires2.
2.1. À Nice, autour des écrits de travail
La fréquentation d’écrits variés, leur mise en voix ou en chant participent significativement de ce double enjeu que constituent la socialisation et les acquisitions discursives, lesquelles conduisent l’enfant à passer peu à peu de l’informulé à des formulations plus abouties (Bassano, Maillochon & Eme, 1998 ; Plana, Silva & Borzone, 2011 ; Ochs & Schieffelin, 2017 ; Torterat, 2021). Profitant de la mise en œuvre d’un « LéA » (Lieu d’Éducation Associé) sur ces sujets à Nice de 2013 à 2016, une équipe de recherche en Sciences de l’éducation et de la formation de l’UNS a ainsi rassemblé un ensemble d’acteurs de l’enfance au sein des quartiers Nord-Est de la ville. Parmi les institutions impliquées, deux bibliothèques de quartier : l’une s’ouvrant sur les aires de Pasteur et Bon-Voyage, dite « Pasteur-Camille Claudel », l’autre sise à Saint-André et accueillant notamment les familles de l’un des quartiers les plus déshérités de Nice, à savoir les Liserons (aires désormais regroupées, en 2022, sous la dénomination du « Paillon ») :
Figure 1 : Quartier prioritaire de la ville (QPV), Métropole de Nice
D’abord initiée par la Circonscription de Nice 7 (« Nice-Saint-André ») à partir d’une préoccupation liée aux difficultés des élèves dans les domaines du lexique et de l’entrée dans l’écrit, cette recherche a été soutenue en 2013 par l’Institut Français de l’Éducation (IFÉ) et la Direction Générale de l’Enseignement SCOlaire (DGESCO). Bientôt reconfiguré dans un dispositif expérimental avec l’appui de l’Université de Nice (UNS), via son équipe d’accueil en Éducation, le LéA « Nice-Nucéra » a regroupé 5 chercheur·e·s, 29 professeur·e·s des écoles (dont au début 2 « Plus de Maitres Que de Classes »), 6 représentant·e·s du secteur associatif, 2 personnels de la Métropole et 5 bibliothécaires. Les effectifs d’élèves concerné·e·s se sont élevés à 237 en année n, 221 en année n+1, et 167 en année n+2, inscrit·e·s pour une part significative d’entre eux dans les classes de Petites à Grandes sections de maternelle.
Parmi les éléments mesurés par le dispositif, il a été décidé, au terme du premier semestre, de ne pas se borner aux impacts des séances spécifiques, menées par les équipes pédagogiques sur les groupes expérimentaux, en faveur du Lexique-Grammaire (à travers grosso modo l’exercice du réemploi des mots, les récurrences analogiques entre eux et le travail régulier des (re-)formulations). Compte tenu des apports concrets, sur ces thématiques, à la fois du monde associatif et des bibliothèques, la collecte des données s’est étendue à la fréquentation de 3 associations de quartier et de 2 médiathèques, ainsi qu’aux activités supervisées par leurs équipes en faveur des deux domaines-clés de l’expérimentation, une initiative qui a impliqué la prise en compte des incidences de l’accompagnement opéré par les partenaires extra-scolaires, y compris en matière de socialisation et d’acculturation à l’écrit. Très vite, les entretiens et les observations menés sur place par les chercheur·e·s, auprès des animatrices et des documentalistes, ont permis de constater un ensemble de similitudes entre les supports et les pratiques auxquels recourent ces partenaires, et ceux que l’on peut supposer propres à l’École (avec par ailleurs des niveaux d’information relativement proches, sur les enjeux acquisitionnels, de ceux repérés chez les professeur·e·s des classes de maternelle)3. Une fois que les parties prenantes ont pu convenir de procédures de confidentialisation des données personnelles et de non-diffusion de certains contenus, il a été possible de recenser les taux de fréquentation des élèves, ainsi que la participation des familles et l’assiduité des inscrit·e·s aux différentes activités proposées au sein des deux bibliothèques4.
Les déplacements en classes entières n’étant pas toujours envisageables à Pasteur-Camille-Claudel comme à Saint-André, et à rebours les temps « REP+ »5 (moments de concertations, de co-formation et d’accueil des parents, à raison de 18 demi-journées par an) se révélant déjà très pris, les participant·e·s au LéA Nucéra ont convenu d’une mutualisation des informations combinant travaux d’élèves (écrits tâtonnés pour les Grands ou « dictés à l’adulte » pour les plus jeunes, dessins légendés, affichages, etc.), supports d’activités et autres écrits de travail élaborés par les encadrant·e·s. Pour n’en donner qu’un exemple, dominos des mots, figurines et syllabaires produits au sein des classes de maternelle ont été rapportés, avec les fiches de séances correspondantes, aux bibliothécaires, dont les équipes ont reproduit les activités avec leurs propres matériels dans des ateliers au cours desquels les élèves de Grande section s’employaient, souvent aux côtés des mamans ou des frères et sœurs, à « fabriquer » un lexique en partant de « bouts de mots » (radicaux et affixes) et en dégageant plusieurs catégories. Prises filmiques d’ateliers comme témoignages des participant·e·s, contenus, fiches d’activités, mais aussi photographies et agendas hebdomadaires ont ainsi été partagés entre les bibliothèques, les écoles et les associations impliquées, révélant de ce fait, aux participant·e·s , à la fois les pratiques de leurs partenaires, et les représentations des un·e·s et des autres sur les atouts de leurs actions.
Si les données extraites du LéA sur ces points de la collaboration se sont révélées insuffisantes pour en déduire un impact des activités extra-scolaires autre que marginal sur les groupes expérimentaux du projet (malgré des scores assurément plus élevés chez les élèves les plus assidu·e·s aux ateliers extra-scolaires), les entretiens conduits avec les acteurs (en écoles et hors écoles), en 2016, ont clairement conclu à un infléchissement des pratiques, notamment de suivi, avec entre autres une modification du regard des enseignantes en particulier sur les difficultés de celles et ceux, parmi les élèves, qu’on appelle quelquefois un peu vite les « petits parleurs ».
2.2. À Montpellier (2017-2019), autour d’une pratique partagée
En lien avec la sous-section précédente, rappelons que « l’entrée dans l’écrit », chez le (jeune) enfant, est inséparable de son oralisation, à tel point que l’assiduité avec laquelle sont liés ces deux domaines d’apprentissage conditionne sans équivoque leurs apports respectifs pour les apprentis-locuteurs, et ce depuis les tout premiers mois (cf. Eisenberg, Cumberland & Spinrad, 1998 ; Barrett, 2017 ; Boutevin & Torterat, 2021).
Initié en 2017 par une commande du groupe de pilotage REP « Simone Veil », le projet « Action Langage » s’est associé à un groupe de chercheur·e·s du LIRDEF à la faveur d’un travail en commun avec les équipes de plusieurs classes de maternelle (Michelet, quartier Petit-Bard ; Brès, quartier Cévennes). Sur le premier terrain, un partenariat s’est tout de suite imposé avec la médiathèque Shakespeare, en plus de l’implication de plusieurs associations, de 2 travailleurs sociaux, ainsi que d’une Maison pour tous, tous acteurs et institutions opérant dans un même secteur :
Figure 2 : QPV de la Métropole de Montpellier
Cette fois-ci, la collaboration s’est organisée autour d’une pratique – ou pour ainsi dire d’un usage –, à savoir le feuilletage d’albums, commune tant aux écoles qu’aux bibliothèques et qui, par ailleurs, coïncide avec une routine repérée dans les cercles intra-familiaux. En résumé, le feuilletage ne relève pas que d’une occupation subsidiaire soumise aux circonstances, voire dépourvue de tout contenu d’apprentissage : certes prétexte pour entrer dans l’écrit, elle présente ce double gain d’acquisitions variées et d’une socialisation de la lecture. À ce titre, la possibilité pour chacun·e, au sein du collectif, de regarder et d’entendre comment bibliothécaires, professeur·e·s des écoles, mères d’élèves comme animatrices abordent la narration, la construction de l’intrigue, le répertoire de personnages, les dialogues, mais aussi l’esthétique (textuelle comme iconographique) et le ressenti de l’œuvre, pour ainsi dire chacun·e à sa manière, les a conduit·e·s à prendre la mesure de ce qu’un usage a priori anodin comporte de gestes techniques et d’habiletés procédurales. Comme l’ont documenté Déchaux & Le Pape (2021), tous les milieux familiaux sont concernés par une attention particulière aux activités d’« éveil » du jeune enfant, et ce que le projet ici évoqué a montré aux parties prenantes consiste dans le constat d’une didactisation partagée. Les participant·e·s au projet se sont en l’occurrence employés à nommer les processus d’apprentissage, et à décrire les profits pour l’enfant d’une mise en voix de l’album, mais aussi du lâcher-prise, ou encore d’un recours à l’appareillage discursif, particulièrement varié, que constituent les reprises, ruptures, digressions, énumérations comme allusions lors de la dialogisation du récit avec l’enfant. Bibliothécaires comme autres acteur/trice·s ont à cette occasion pu convenir de ce qu’induisent de tels ajustements de l’interlocution pour l’entrée dans l’écrit et l’exercice de la conscience phonologique, ainsi que pour une approche adaptée de l’acception des mots suivant les contextes, ou encore les connotations de certaines formulations. On notera que d’autres discussions ont porté, par ailleurs, sur le soutien que fournit le feuilletage d’albums au profit de la reconnaissance des lettres et des syllabes, mais également pour l’appropriation des routines narratives.
À titre d’illustration, telle séance en médiathèque, en novembre 2019, a rassemblé un groupe classe, l’enseignante et des accompagnatrices autour d’une bibliothécaire en charge de l’espace Jeunesse : après l’annonce d’une transition de la thématique précédente à celle d’un bestiaire imaginaire, les élèves ont entonné « la chanson du loup » sur laquelle sont intervenus des échanges spontanés. À son tour, la bibliothécaire a introduit la chanson « Les P’tits loups du jazz » avant un autre temps d’échanges, qui a porté plus particulièrement sur les noms d’instruments entendus et la scansion des paroles, pour en venir à un documentaire précédemment abordé à l’École. Ce support a conduit à un retravail, sur place, des caractéristiques prêtées aux animaux telles qu’herbivore / carnivore, ainsi que des affixes lexicaux, à travers l’organisation sociale de la meute et ce qu’elle contient de loups, louves et louveteaux.
Inutile, dans ces termes, de détailler en l’occurrence l’ensemble des capacités exercées et des contenus d’apprentissage ainsi socialisés en dehors de l’École : à travers cette médiation du récit, relayée par les feuilletages d’albums qui s’en sont ensuivis, le gain pour tou·te·s s’est révélé a minima conforme aux attendus.
3. Discussion et éléments de conclusion
Les atouts et les faiblesses des deux projets, qui ont été relatés en d’autres occasions (Biagioli, Lecomte & Torterat, 2020 ; Torterat et al., 2020), ont eu pour point commun d’aboutir à des constats similaires au sens de leurs répercussions sur le terrain. Parmi eux, nous notons que des initiatives partagées entre les secteurs de l’éducation, du travail social et de l’animation permettent, aux participant·e·s, de resignifier en tout ou partie leurs pratiques comme les représentations qu’ils/elles en ont. En outre, il nous est apparu plus particulièrement qu’un dialogue assidu entre l’École et les bibliothèques/ludothèques de quartier présente l’opportunité d’inscrire les démarches éducatives, ainsi que les apprentissages, dans une rémanence réconfortante pour les familles. Ces initiatives locales rendent le relais des acquis plus intelligible aux parents comme aux enfants, dès lors par exemple que ces dernier·e·s remarquent que tels jeux de société, telles collections d’ouvrages ou telles manières de procéder figurent tant dans le quotidien de l’École que dans celui des médiathèques et du monde associatif.
Cette modification du regard ne concerne pas, en l’occurrence, que les représentant·e·s du secteur (péri-)scolaire : en s’ouvrant à la compréhension à la fois des spécificités des autres professions, et des similitudes qui apparaissent avec la leur, ces derniers entrent – certes, plus ou moins vite – dans un espace hétérarchique. Celui de la mutualisation sans prévalence, centrée non pas sur des pratiques exclusivistes ou sur les ascendants de la représentation institutionnelle, mais sur des éléments concrets du quotidien. Parmi ces éléments figurent les écrits de travail analogues aux secteurs de l’éducation et de l’animation (Lebon, Rinck & Torterat, 2019), une préoccupation sur le temps libre que partagent centres multiservices et de loisirs (Godbout, 1986), ou encore les apports de la recherche communs à la formation en éducation comme en travail social (Lebon & Torterat, 2020).
Il en est de même du côté de l’enfant et de ses proches : tandis que pour l’un·e, la multiplication des espaces de socialisation autour d’usages partagés ne peut qu’être favorable à la construction de ses habiletés socio-discursives, pour les familles dans leur ensemble elle constitue un levier de cohésion éducative orientée autour de l’accueil et des besoins des usagers.
Plus spécifiquement, ce que confirment les deux aboutissements décrits en 2.1. et 2.2. tient au fait que les recherches collaboratives en éducation, quelles qu’en soient la teneur et les matérialités, sont intimement liées aux prémisses du dialogue qui s’est établi entre ses parties prenantes. Il en existe sans doute d’autres, mais pour notre part nous avons pu repérer, empiriquement depuis 2013 comme à travers l’archive qu’en fournissent les apports de la recherche, quatre préfigurations possibles. En dehors de leur configuration (par exemple institutionnelle, inter-individuelle ou groupale pour la manière dont elles rassemblent les personnes), les recherches collaboratives proviennent de dynamiques variablement hasardeuses, mais supposent toutes une logique immanente, en quelque sorte une propédeutique. À notre sens, les préfigurations des recherches collaboratives sont préoccupationnelles, socio-institutionnelles, compréhensives ou démonstratives. Elles sont ainsi déclenchées soit par une préoccupation commune, soit par la commande d’un regroupement ou d’institutions, ou bien par une démarche collective visant soit à comprendre ce qui se passe (comme la mutation d’un contexte ou les difficultés d’un terrain), soit à démontrer les effets d’un dispositif.
Il va sans dire que les affinités entre les personnes, ainsi que les contextes eux-mêmes, ont une influence tangible sur ces préfigurations, mais un travail concerté entre les écoles et les bibliothèques nous semble incontournable dans lesdits « quartiers populaires », où l’accès à la culture constitue un enjeu de tous les instants (cf. Roselli, 2019). De notre point de vue, les échanges de supports et autres matériels sont un premier pas qu’il convient de relayer par des présences physiques mutuelles des équipes dans le temps scolaire comme extra-scolaire, avec une reconnaissance institutionnelle de la collaboration comme un travail effectif. La co-formation induite par le suivi des apprentissages et l’appui au lien social avec les familles fournit, à cet égard, une occasion de recueillir le soutien des universités comme des instituts ou écoles de formation. Dans la mesure où toutes ces parties prenantes ont, parmi leurs convergences, celle d’être au service des usagers, le gain pour les enfants nous paraît plutôt garanti.
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Torterat, F., Morel, F., Ruprecht, K & Soulé, Y. (2022). French “Passerelles” (transitional preschool) Classes: outcomes of a specific program for Early Childhood Education. Dans F. Torterat, B. Azaoui & K. Ruprecht (eds.), Proceedings of the International Conference on Collaboration between families and external stakeholders in Early Childhood Education : European fields and methods. Numerev Lirdef : https://lirdef.numerev.com/articles/actes-1/2772-french-passerelles-transitional-preschool-classes-outcomes-of-a-specific-program-for-early-childhood-education
Umlauf, K. (2005). Schule, Bibliothek, Schulbibliothek. Institut für Bibliothekswissenschaft der Humboldt-Universität zu Berlin, 49 S. - (Berliner Handreichungen zur Bibliothekswissenschaft ; 165).
Vernez, M. (2019). Le jeu de rôle en bibliothèque: valorisation et médiation d'un fonds de livres de jeu de rôle en bibliothèque de lecture publique (Doctoral dissertation, Haute école de gestion de Genève).
[1] On lira également avec intérêt l’ouvrage de Bonnaccorsi (2009), dont la deuxième partie, en portant notamment sur « la formation discursive du devoir-lire »,décrit les apports d’une médiation de la lecture en l’illustrant à travers l’implantation d’une nouvelle bibliothèque à Marseille.
[2] Auxquel·e·s nous incluons bien sûr les médiathécaires, ce qu’ils/elles sont tou·te·s pour ainsi dire aujourd’hui.
[3] Compte tenu du format de la présente contribution, nous ne pouvons détailler l’ensemble du protocole développé. Ces éléments figurent en détail dans Torterat (2021).
[4] Concernant la non-diffusion, notons que les associations en particulier, mais dans une autre mesure également les bibliothèques et les ludothèques, opèrent dans des secteurs concurrentiels, avec des exclusivités impactant directement les rémunérations comme la reconnaissance institutionnelle du travail effectué.
[5] Réseau d’Éducation Prioritaire « plus », dispositif généralisé au national en 2014.