Actes n°2 / Médialivres - Médiations de la littérature de jeunesse en médiathèque et au musée

Le partenariat entre médiathèque et établissements scolaires

Entretien avec Perrine Mouriès et Laetitia Laumet, Médiathèques Montpellier Méditerranée Métropole

Christine Boutevin

Résumé

Les communications qui ont eu lieu au cours des journées d’étude ont été prolongées par des dialogues avec des professionnel.les de la médiation. Il est apparu intéressant de rendre compte de ceux-ci car ils prolongent les contributions scientifiques et révèlent la fécondité d’un travail collaboratif entre chercheurs, chercheuses et médiateurs, médiatrices.

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Christine Boutevin (CB), Université de Montpellier, LIRDEF

Perrine Mouriès (PM), Service éducatif de la médiathèque Shakespeare de Montpellier

Laetitia Laumet (LL), Service éducatif de la médiathèque Shakespeare de Montpellier

CB. Pourriez-vous tout d’abord nous présenter votre contexte professionnel ?

LL

Je suis professeure documentaliste au collège Marcel Pagnol de Montpellier, chargée de mission au Service éducatif de la Médiathèque Shakespeare depuis à peu près 4 ans. Cette mission est définie par une circulaire comprenant quatre orientations : la promotion de la fréquentation de la structure culturelle par les enseignants et les élèves, la conception et la mise en place de programmes d’activités culturelles, la mise à disposition et la conception de ressources pédagogiques et enfin, la participation à la formation des enseignants.

PM

Je suis responsable adjointe de la Médiathèque William Shakespeare à Montpellier, dans le quartier du Petit Bard, et responsable du pôle « Actualités et Formation », où on développe le numérique et on s’occupe de l’accueil des adolescents. C’est dans ce cadre que je suis co-responsable du Service éducatif avec Lætitia Laumet. Le Service éducatif existe depuis 2006 au sein de la médiathèque située en zone sensible, dit QPV, Quartier Prioritaire de la Politique de la Ville. Nous avons fait le choix de nous concentrer sur les établissements scolaires de proximité, du second degré. Nos activités se développent autour de trois axes : les outils numériques et l’éducation aux médias et à l’information, la lecture et l’écriture et la formation à destination des enseignants dans le cadre du Plan Académique de Formation. Concrètement, nous nous occupons de concevoir des actions pédagogiques et également d’intervenir auprès des élèves qu’ils viennent à la Médiathèque ou que nous nous déplacions pour mettre en place des programmes d’actions culturelles et pédagogiques.

CB. Pourriez-vous aborder l’une de ces actions, la rencontre avec un auteur dans un établissement scolaire ?

PM.

La rencontre avec un auteur fait partie du programme d’éducation artistique et culturelle. L’un des derniers auteurs invités s’appelle Arnaud Cathrine. Mais sur quels critères choisit-on un auteur ou une autrice ? À vrai dire, il faut l’avouer, c’est en fonction de nos coups de cœur littéraires parce qu’ainsi on transmet mieux nos émotions, notre enthousiasme, notamment auprès des adolescents. Mais évidemment, nous avons un certain nombre de critères plus objectifs, qui sont une production relativement diverse et conséquente. On essaie d’avoir un auteur qui a déjà publié plusieurs ouvrages. Parfois, ce qui nous paraît intéressant, c’est qu’il écrive pour la jeunesse, pour les jeunes adultes, mais également pour les adultes puisque nous nous adressons à des collégiens et à des lycéens. Nous prenons aussi en compte l’actualité littéraire de cet auteur et nous cherchons quelqu’un qui soit à l’aise avec le public adolescent et ce critère-là est difficile, car on peut être un très bon auteur et un médiateur médiocre.

Par ailleurs, les auteurs sont très sollicités pour des festivals, des rencontres, des salons du livre, etc. Il nous a fallu trouver un moyen de les contacter et de leur donner envie de venir. Alors nous avons travaillé notre courriel à partir des titres des ouvrages de celui que nous souhaitions inviter de façon à faire un vrai texte créatif et à séduire l’auteur invité. Finalement, nous avons inventé une activité de jeu d’écriture qui s’est révélée très efficace. Quand on veut avoir des auteurs ou des autrices reconnues, les incontournables de la littérature de jeunesse, il faut être imaginatif.

CB : Vous vouliez évoquer une action en particulier.

LL

Il faut vous dire qu’avant de rencontrer l’auteur, on prépare le contenu et on intervient dans la classe sur une séance de deux heures en amont de la rencontre, à la fois pour faire découvrir aux élèves l’univers de l’auteur et leur permettre, grâce à nos lectures d’extraits choisis, de connaître un peu plus l’œuvre afin qu’ils puissent interagir avec l’invité lors de sa venue.

On essaie de commencer cette première séance avec des choses auxquelles les élèves ne s’attendent pas. Arnaud Cathrine par exemple a fait un livre-CD avec un musicien, Florent Marchet, une comédienne, Julie Depardieu, qui lit, et une chanteuse, Jeanne Cherhal[1]. Dès le début, on a fait écouter cet extrait qui traite du harcèlement scolaire avec la bande son afin de créer une surprise et de retenir l’attention des élèves.

Par ailleurs, nous souhaitons nous détacher des formes scolaires d’intervention, parce que nous sommes des intervenants extérieurs, donc on essaie de trouver des manières originales d’aborder les rencontres avec les élèves. On passe beaucoup par l’émotion, qu’elle soit positive ou négative, mais en tout cas, il faut que ça surprenne, que ça secoue, que ça pose question, qu’il y ait des réactions, même virulentes. Cela nous paraît important pour que ce soit autre chose qu’un cours avec un professeur. Si les élèves ont éprouvé des émotions, ça risque de rester dans leur mémoire.

CB : Une des difficultés justement est de savoir si on a réussi la médiation. A quel moment considérez-vous que l’action a été un succès ?

LL

C’est très intuitif : on constate, sur le moment, pendant la rencontre, la richesse des échanges avec les élèves ; ensuite l’auteur exprime sa satisfaction quant aux interactions avec les classes. Parfois certaines d’entre elles préparent des choses et le montrent à l’écrivain. Par exemple pour la rencontre avec Arnaud Cathrine, un lycéen s’est mis à la place de l’auteur invité pour lire un poème qu’il avait écrit. Là, c’était un moment assez fort.

PM

En fait, là il faut comprendre le contexte : c’est un lycée de la deuxième chance, et des élèves qui ont choisi l’option « Sport », qui pour certains sont en difficulté par rapport à la lecture. Cet élève parce qu’on parlait de la thématique de l’amour qui est très présente chez Arnaud Cathrine, a voulu lire son texte à l’auteur et devant toute la classe. Il a expliqué qu’il écrivait régulièrement de la poésie sur son smartphone, donc il avait le texte avec lui. C’était un moment incroyable. Chaque année, on a un ou deux élèves dans une classe où il y a un moment un peu magique. Ensuite il y a aussi des retours des professeurs qui nous encouragent à poursuivre.

CB : Je voudrais aussi que vous évoquiez les demandes des professeurs qui sont peut-être des commandes institutionnelles.

PM

On fait des présentations thématiques parce qu’on a des commandes d’enseignants, par exemple en 6e « les monstres », en 5e, « l’homme est-il maître de la nature ? ». Ce sont des thématiques qui sont liées aux programmes scolaires.

Parfois aussi les enseignants nous laissent carte blanche, ce que nous apprécions énormément. Souvent cela concerne les SEGPA[2] parce que c’est plus simple pour eux, car ils travaillent par projets, soit en lycée professionnel par exemple parce que souvent en lycée professionnel, le programme est moins contraignant et l’objectif plus large : il s’agit essentiellement d’enrichissement culturel.

LL

Oui en lycée professionnel c’est plus souple, plus flexible, alors que pour le collège par exemple sur les objets d’étude qui sont au programme de français, comme celui qui concerne les monstres, on ne va pas du tout évoquer la mythologie parce que les enseignants le font déjà en classe. Il faut réfléchir à apporter une plus-value culturelle. On cherche alors la variété des ressources proposées, des lectures d’extraits, des lectures intégrales d’albums à deux voix, des œuvres où le rapport texte-image n’est pas évident. On n’hésite pas aussi à diffuser des extraits musicaux, des vidéos et des séquences cinématographiques. On va articuler les références classiques et populaires. Pour les monstres par exemple, on passe d’Elephant Man à Shreck.

CB : Donc en fait, c’est vraiment une manière aussi d’interpréter les programmes.

LL

On aborde vraiment la thématique, mais de manière un peu moins scolaire, avec une ouverture culturelle plus large, en utilisant aussi de la littérature de jeunesse, des albums, des films, etc. On cherche également, sur des séances de deux heures, à faire participer les élèves, avec des jeux notamment, comme des quiz. Par exemple, nous avions fabriqué un quiz intitulé « monstroupa ». On montrait des images de monstres ou pas, et il fallait que les élèves justifient leur affirmation.

Un dernier exemple, avec le lycée professionnel où nous avions carte blanche, on a utilisé un album intitulé Frisson de fille[3] qui est une adaptation contemporaine du conte de Barbe Bleue. Le Service éducatif a conçu une sorte d’Escape game, Escape book, qui permettait d’avoir un parcours plus ludique pour découvrir l’album ; mais surtout on voulait aborder la thématique du conte de Barbe Bleue en partant de faits divers, de la presse avec les tueurs en série.

PM

Finalement c’était Barbe Bleue et les serials killers sous la forme de jeux de cartes, un peu comme on fait pour les Escape game : là, c’était un Escape book. Nous pouvions ainsi aborder l’ensemble du contenu de l’album de manière interactive et nous arrivions à leur lire tout l’album en faisant le jeu. On voit donc qu’on peut utiliser l’album aussi au lycée.

CB

Merci beaucoup à toutes les deux d’avoir ainsi évoqué votre expérience de médiatrices qui fait largement écho aux propos des chercheurs et des chercheuses.

 

[1] Il s’agit de Coquillette la mauviette, Actes Sud, 2012.

[2] SEGPA : Section d’enseignement général et professionnel adapté.

[3] Edward van de Vendel, Frisson de fille, Rouergue, 2007.

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