Actes n°1 / Proceedings of the Collaborative Initiatives for Early Childhood Conference

« Les conseils de crèche » : mise en œuvre d’instances de partages et d’échanges avec les parents en EAJE

Fabien Catherine

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Préambule

Les différentes politiques sur la Petite Enfance qui se sont succédées en France ont toujours inclus la notion de participation des familles, dans leurs intentions de mettre en avant ce qu’elles ont appelé successivement « l’accompagnement de la fonction parentale », « le soutien à la parentalité », « la coéducation », « l’éducation partagée » ou encore « le partenariat ». Tous ces termes, aussi honorables soient-ils, mettent en exergue une volonté d’impliquer les parents dans des lieux collectifs, pour une recherche de qualité améliorée de l’accueil. Force est de constater qu’aujourd’hui de nombreux projets sont mis en œuvre pour répondre à cette commande politique (Cyrulnik, 2020). Mais qu’en est-il vraiment dans nos Etablissements d’Accueil du Jeune Enfant ? Concrètement ?

Un outil essentiel en « crèche »…

Plutôt que de projet, nous parlons d’actions à mener par les professionnels de la Petite Enfance, et plus précisément d’un outil essentiel à la mise en œuvre de tous ces concepts liés à l’accueil des parents : « le conseil de crèche ». Gardons cette expression qui peut encore paraître désuète, mais lorsque l’on y regarde bien, dans ce titre « conseil de crèche », aucun participant n’est nommé (ni professionnel, ni parent, ni tout autre partenaire), ce qui laisse une liberté de choix dans la forme et dans le fond. Le simple mot « crèche » est encore, au temps des grandes réformes (Décret du 30-08-2021), mieux perçu par le grand public que le mot « multi-accueil » réservé aux seuls initiés du microcosme de la Petite Enfance. D’ailleurs, les tous nouveaux textes de loi réaffirment ce mot « crèche » à tout bout de champ et sous toutes les coutures. La définition même de « conseil de crèche » s’apparente donc aux objectifs recherchés. Ces conseils ont été créés, historiquement, par les structures d’accueil associatives qui se voulaient parentales, à la fois par leur statut, mais aussi par leur démarche collaborative.

pour des espace-temps constructifs pour l’éducation des enfants

Véritable outil pédagogique, ce temps d’échanges entre parents et professionnels permet de renforcer le lien (Cyrulnik et Rameau, 2012). Au travers de ces différents temps organisés par les professionnels de l’accueil en direction des familles, se construit la confiance bien sûr, mais ces dispositifs participent également à déconstruire des préjugés des uns envers les autres et à déculpabiliser les parents. Un autre intérêt consiste dans la mobilisation des équipes pour y parvenir, et le travail de réflexion pour exposer aux parents la complexité du travail d’accompagnement de leurs enfants au quotidien, démontrant ainsi leurs valeurs éducatives et leur technicité ; tout ceci dans une démarche de reconnaissance.

Ainsi, dans ces conseils de crèche, ont pu être développés les thèmes du développement de l’enfant (les limites et interdits, l’importance du jeu, etc), la présentation d’une journée-type pour mieux comprendre le rythme d’une journée pour un enfant et ce que cela représente pour lui ou elle, la présentation des espaces dédiés à la vie en collectivité, les débats sur les questions de gestion, de travaux notamment. Plusieurs fois répétées au cours d’une année, ces instances nécessitent aussi un investissement de l’équipe dans son ensemble et demandent à chacun·e de motiver la présence de chaque parent, leur donner envie de partager un moment convivial et constructif.

Les conseils de crèche peuvent prendre plusieurs formes, parfois originales, obligeant les équipes à se réinventer (jeux pédagogiques, itinérance ludique dans les locaux, diaporama vidéo…). Ellessont aussi l’occasion d’ouvrir les échanges sur l’extérieur avec la présence des gestionnaires, des politiques, des médecins référents ou des intervenants pédagogiques, permettant d’offrir aux parents de nouvelles perspectives.

La collaboration entre les familles et les travailleurs sociaux peut alors s’inscrire dans une démarche de partenariat ou de « co-éducation » (Sellenet, 2008 ; Jésu, 2010) : peu importe les termes, pourvu que l’intérêt de l’enfant en ressorte gagnant.

En termes de parcours

M’appuyant sur mon propre parcours de professionnel au sein de plusieurs Etablissements d’Accueil du Jeune Enfant, je montrerai l’intérêt de mener des conseils de crèche, toujours dans une perspective collaborative parents/professionnels.

J’ai tout d’abord commencé à travailler en crèche parentale où j’ai découvert les instances de réunion entre parents / gestionnaires ou tout simplement parents impliqués ou investis pour l’accueil de leur enfant. Ces réunions étaient toujours menées par les professionnelles responsables de la crèche, car ce sont elles qui avaient « les clefs » : les besoins en termes d’accueil collectif, la maîtrise des finances, en lien avec la Caisse d’Allocation Familiale (CAF) notamment, et en matière de règlementation, en collaboration avec les services de la Protection Maternelle et Infantile (PMI). Bref, de conseils d’administration en assemblées générales ou encore en commissions de toutes sortes, j’ai pu prendre la mesure du lien indissociable entre parents et professionnels.

C’est seulement après ces expériences de pratiques associatives, toujours dans des intentions bienveillantes envers les enfants, par des préoccupations d’organisation, d’équilibre financier, de recherche de participation à la vie locale, que j’ai suivi la formation d’Educateur de Jeunes Enfants (à l’IRTS de Montpellier1), répondant ainsi à mes questionnements et à mon besoin de me former aux pratiques éducatives.

Déconstruire les préjugés

Après l’obtention du diplôme et ma première prise de poste, en associatif et crèche parentale, reprendre cette dynamique de travail en commun avec les parents a été comme une évidence. Responsable d’une crèche parentale de douze places puis d’une crèche collective de vingt places, je me suis évertué à organiser et à mener de nombreuses actions en collaboration avec les parents. Mais, la principale mise en œuvre a été de construire, par un rythme régulier, des instances de rencontres et d’échanges, en dehors de l’accueil des enfants, en soirée donc. Ces conseils de crèche, nommés ainsi déjà à l’époque dans le règlement de fonctionnement de l’établissement, consistaient à mettre les parents en confiance vis-à-vis de l’équipe, mais aussi à mettre l’équipe en confiance vis-à-vis des parents : ainsi déconstruire les préjugés et travailler le non-jugement devenait plus simple.

Concrètement, il s’agissait, dans ces instances, de se mettre au travail : écrire le projet éducatif, organiser des rencontres festives, présenter le déroulement d’une journée en crèche ou encore préciser les méthodes de travail d’équipe et, surtout, proposer des apports pédagogiques afin d’amener le parent à réfléchir et à l’aider à prendre sa place d’éducateur et ainsi se mettre en lien avec les professionnels, etc.

Mettre en avant l’intérêt de l’enfant au-delà des problématiques institutionnelles

Lorsqu’en 2005, je suis recruté en tant que Coordinateur Petite Enfance en même temps qu’une autre professionnelle venant également du milieu associatif, c’est pour construire le service fraichement transféré par une Communauté de Communes de 25000 habitants et qui comporte, entre autres, 7 crèches (multi-accueils) entre 17 et 30 places.

Les « clefs » nous sont données pour créer un service Petite Enfance communautaire efficient et qualitatif. Cependant, nous faisons face d’emblée à la réticence de beaucoup de parents venant des crèches associatives et municipales, bâtiments et services rachetés dans leur ensemble du jour au lendemain par la collectivité communautaire ; un public déjà en place avec une impression négative car la situation était subie et… subite. Les réticences étaient bien présentes et légitimes, de peur – toujours – de l’inconnu.

Outre le travail intense de management pour bâtir les équipes, c’est au-devant des parents que nous irons créer et défendre une démarche dynamique et novatrice se voulant faire systématiquement de l’intérêt de l’enfant une priorité. Pour cela, nous créerons entre autres… les conseils de crèche ! Et dans une démarche collaborative et participative, l’intégration des équipes dans les idées et les actions.

Une approche pragmatique

Avant tout, il s’agit de convaincre et d’accompagner les directeurs de crèches, eux-mêmes « en première ligne » , en leur faisant partager notre conviction à impliquer les familles en toute transparence du travail éducatif entrepris, et notre exigence de faire de la qualité d’accueil notre point d’ancrage. Pour cela :

→ fixer des dates, des horaires, de sorte à poser le rythme de ces réunions sur une année scolaire entière, à savoir, trois conseils de crèche dans l’année, le premier à la rentrée scolaire (septembre/octobre), le deuxième en plein hiver avec un intervenant extérieur pour développer les apports théoriques (médecin, psychologue, conteur…) et enfin un troisième et dernier en avril/mai, plus ludique (très rapidement, nous avons demandé aux directeurs un rétroplanning annuel dès la rentrée du mois d’août afin d’institutionnaliser ces temps éducatifs).

→ préparer l’ordre du jour, le thème, ce qui allait être dit, et tout ceci… en équipe. Il n’était pas question, en effet, de laisser le directeur de l’établissement imposer un discours et simplement être dans un monologue. Non, l’important était d’impliquer l’équipe pour faire adhérer l’ensemble des parents, car l’idée première est de permettre aux familles d’interroger les pratiques professionnelles sur le quotidien de leurs enfants dans un espace/temps réduit (deux heures de réunion, c’est court) et qui mieux que les aides éducatrices, les auxiliaires, les infirmières, les cuisinières pour en parler – sous le couvert, bien sûr, des éducateurs de jeunes enfants – ?

→ inventer donc, innover, proposer des supports (jeux pédagogiques, appui sur des méthodes de communication, diaporama, films), tout cela faisant partie du travail élaboré lors des réunions d’équipe mensuelles du soir (l’équipe devait réfléchir ensemble et trouver des idées ; ici encore, le partage professionnel était de mise).

→ inviter les partenaires privilégiés : les élus (Mairie, Communauté), les coordinateurs (Petite Enfance, Enfance), les intervenants pédagogiques acteurs tout au long de l’année, le médecin référent, les enseignants dans le cadre des passerelles avec l’école maternelle pour les plus grands de la crèche (Péralès, Chandon-Coq et Rayna, 2021), le directeur de l’ALSH (Accueil de Loisirs Sans Hébergement) et du périscolaire, le responsable du restaurant scolaire… C’est-à-dire, donner aux parents la possibilité d’ouvrir le champ des questions dans un environnement pluridisciplinaire repéré et assumé.

Puis, il s’agissait de motiver les parents (invitations, rappels, affichages), car cette démarche nécessite toujours autant d’énergie à mobiliser l’ensemble des partenaires éducatifs, mais force est de constater que lorsque l’on sollicite les parents sur des moments de réflexion, sur ce qui se passe vraiment pour leur enfant, ils répondent majoritairement présents, pour peu que la démarche soit sincère et dans une envie de réciprocité.

→ enfin, élaborer un compte-rendu sur les sujets abordés, les questions posées et les réponses données est indispensable pour « rendre compte » de ce travail collaboratif et diffuser à l’ensemble des parents utilisateurs de ce service d’accueil, autant pour ceux qui étaient présents, mais également ceux qui en étaient absents.

Il n’est pas question en effet de mettre de côté une partie de la population « soi-disant » accueillie. Ici encore, s’arrêter un instant avec les familles non investies, ou tout simplement juste absente à cette instance, fait partie de l’accompagnement sans jugement et sans discrimination, de toutes les familles par l’Educateur.

Vers une démarche qualitative reconnue

Après quinze ans d’expérience et à la suite d’une crise sanitaire qui met en stand-by ces instances d’échanges et de partage, la reprise de ces conseils est comme un besoin vital : retrouver le lien indispensable au travail de coéducation. À ce jour, les équipes et les parents réclament ces temps malgré la disponibilité que cela demande aux deux parties et la réticence aux rassemblements dans le contexte sanitaire des années 2021-2022.

Ces conseils sont de véritables « portes d’entrée » communes aux parents et aux professionnels : aux parents qui ont l’opportunité de se questionner, de prendre ce temps – si précieux – du questionnement sur ce qui se passe, sur ce qui se joue, pour leur enfant ; aux professionnels qui ont l’opportunité de dépasser la simple transmission d’information pour oser le dialogue éducatif avec du public non professionnel, exercice parfois difficile car cela nécessite une adaptabilité réfléchie du discours.

Ces instances répondent donc en partie à la Charte nationale créée pour l’accueil du jeune enfant (Arrêté du 23-09-2021) ; ainsi nous pouvons en citer un extrait pour illustrer ces quelques lignes expérimentales : « les familles et les professionnels s’enrichissent réciproquement en partageant leurs connaissances et leurs idées. L’accompagnement à la parentalité respecte les valeurs de chaque famille, leur diversité […]. Ce partenariat nécessite des lieux et des temps de disponibilité pour les échanges entre professionnels et parents. Le dialogue et des actions communes permettent de tisser une relation confiante, sur laquelle les enfants structurent et élargissent leurs repères d’identité. Dans un esprit de participation, qui exclut les logiques de consommateurs et de clients, les parents doivent trouver leur place dans les instances décisionnelles des modes d’accueil, notamment en participant aux conseils de crèches ».

Références

Arrêté du 23 septembre 2021 portant création d'une charte nationale pour l'accueil du jeune enfant. NOR : SSAA2128574A.

ELI : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2021/9/23/SSAA2128574A/jo/texte

JORF n°0228 du 30 septembre 2021, texte n° 41

Cyrulnik, B., et Rameau, L. (coord.) (2012). L’Accueil en crèche. Philippe Duval éditions.

Cyrulnik, B. (coord.) (2020). Les 1000 Premiers jours. Rapport de la Commission sur ce thème au Ministère de la Santé et des Solidarités (France).

Décret n° 2021-1131 du 30 août 2021 relatif aux assistants maternels et aux établissements d'accueil de jeunes enfants. NOR : SSAS2117575D.

ELI : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2021/8/30/SSAS2117575D/jo/texte
JORF n°0202 du 31 août 2021

Jésu, F. (2010). Principes et enjeux démocratiques de la coéducation : l'exemple de l'accueil de la petite enfance et notamment des conseils de crèche. Dans Sylvie Rayna (éd.), Parents-professionnels : la coéducation en questions (p. 37-48). Érès. https://doi.org/10.3917/eres.scheu.2010.01.0037"

Péralès, D., Chandon-Coq, M.H., Rayna, S. (2021). Les passerelles, tout un art ! Erès.

Sellenet, C. (2008). Vie Sociale. Érès.


1 IRTS : Institut Régional du Travail Social

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L’École des Parents et des Éducateurs (EPE)

Charles Foxonet, Pascal Suzanne

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