1. Historique et missions des EPE
Créés par La Fédération Nationale de l’École des Parents et des Éducateurs (FNEPE) en 1999, les Cafés des Parents®, outil emblématique des Écoles des Parents (EPE) dont la marque a été déposée en 2010, proposent un espace et un temps d’échanges permettant aux parents de renforcer mutuellement leurs capacités éducatives. Ils sont animés par les EPE dans 30 départements, majoritairement au siège des structures, dans les centres sociaux de quartiers et des écoles (en particulier maternelles et primaires des Réseaux Éducation Prioritaire), mais aussi en crèches ou Foyers ruraux.
Reconnue d’utilité publique, la FNEPE compte actuellement 34 EPE et 5 labellisées en France métropolitaine et Outre-mer.
Les actions 2020 de l’EPE de l’Hérault sont les suivantes :
2. Les Cafés des parents®
D’abord « Cercles de parents », puis « groupes de parole de parents », l’initiative devient en 1999 les « Cafés des Parents », labellisés en 2010. Il s’agit pour chacun d’un « lieu de rencontre des expériences de chacun, d’échanges et de partage de savoirs entre parents, entre parents et professionnels et entre professionnels » (Briand, 2019, p. 31).
Les Cafés des Parents suivent trois principaux objectifs :
→ dire et se dire dans l’anonymat et la confidentialité et écouter les autres ;
→ permettre aux parents de renforcer mutuellement leurs compétences éducatives grâce à la complémentarité de leurs expériences et de leurs cultures (identification et confrontation à l’altérité), faire vivre la « pair-éducation » ;
→ permettre aux parents d’exprimer l’imbroglio désirs de parents/besoins de l’enfant.
En l’occurrence, les Cafés des Parents® (CdP) participent au « soutien à la parentalité » tel que défini par l’Ordonnance du 19 mai 2021 (à laquelle a participé la FNEPE), contribuent à considérer la parentalité comme un ensemble de « compétences qui permettent à un adulte de répondre aux besoins d’un enfant » (Marcelli, 2019, p. 12). Ainsi, si la parenté va de soi, il n’en est pas de même pour la parentalité : serai-je capable d’élever mon bébé, mon enfant ? Comment accompagner au mieux mon enfant dans son épanouissement et ne pas passer à côté de quelque chose d’important ? Comment devenir ce « bon parent » prôné par les magazines et les institutions ? Ces questions et préoccupations rejoignent concrètement la complexité qui prévaut désormais dans l’art d’élever les enfants depuis les années 1975-1980. Ainsi que le soulignent Marcelli et Lanchon (2019) :
Le bébé n’est plus considéré comme un être immature – un nourrisson – que l’on se contente de nourrir, mais comme un être compétent qui observe, imite, communique, préfère la langue maternelle… En moins de dix ans, l’enjeu de l’éducation a pivoté de manière brutale : on n’éduque plus un enfant pour qu’il réponde aux exigences de la société, soit « bien élevé », mais pour qu’il déploie au mieux ses compétences et son potentiel. Et des besoins développementaux nouveaux ont été décrits. (p. 13)
Cela rejoint un rôle préventif important : une grande part des difficultés, à la jonction du développement ordinaire d’un enfant et des petits ennuis développementaux, se résout d’une manière souple dans l’échange entre parents. Et si les professionnels repèrent des distorsions plus graves, des facteurs de risque accrus se présente, ils peuvent amener une proposition individualisée vers une structure plus appropriée.
3. Utilité sociale des Café des parents®
3.1. Le mieux-être et le partage
La parentalité est une identité à la fois singulière et partagée. De ce fait, deux premiers aspects de l’utilité sociale apparaissent :
→ au niveau individuel : favoriser le mieux-être consiste à fournir un lieu de libération de la parolequi permet de distancier et de prendre conscience et un lieu d’écoute sans jugement, permis par l’anonymat et la confidentialité ;
→ au niveau collectif : instaurer une économie de partage, valeur anthropologique fondamentale et valeur non marchande, implique une gratuité de principe.
Si l’on suit Briand (2019) :
Ici, contrairement à ce qui se passe dans un échange matériel, rien n’est perdu dans l’implication réciproque des interlocuteurs. Parler et écouter sont des actes simultanés, qui se posent comme une forme de don, un donné-recevoir instantané, que Fred Poché appelle la « duplication donative ».(p. 82)
3.2. L’envie de comprendre
Du côté des parents, exprimer ses difficultés (de nombreuses dépassent la question de parentalité) revient à comprendre qu’elles peuvent être pensées et dépassées. C’est aussi affirmer et préciser son identité de parent qui n’est peut-être pas encore reconnue par les institutions.
La posture des professionnels est essentielle : eux aussi cherchent à comprendre, sont aussi parents, veulent aussi faire évoluer leur propre pratique. La dynamique de groupe va ainsi être un outil puissant pour « se libérer » ensemble. L’on peut donc résumer l’utilité sociale du dispositif à travers le processus qu’elle met en œuvre :
Nous sommes ici à la base du développement humain économique et sociétal permettant d’être Auteur et Acteur de sa vie.
3.3. Création de commun et de lien social, d’un tiers lieu
Les CdP mettent en valeur un mouvement symbolique, celui de l’intime vers l’universel. Dans ces termes, chaque parent délivre et partage des éléments de sa vie personnelle et a priori pense à son propre enfant puis découvre que ses aspirations secrètes, ses inquiétudes, ses sentiments et ses questionnements rejoignent ceux des autres participants, et au-delà, de tous les parents. La parentalité est une condition universelle où il s’agit d’accompagner des petits d’homme pour qu’ils deviennent des petits hommes.
Faire société en se reliant, en créant des ponts, en s’alliant, c’est aussi se réinscrire dans la perspective de cette universalité. Telle est l’ambition sociale des CdP : permettre de lutter contre la solitude, de rencontrer des personnes parfois improbables et ainsi de créer un nouveau réseau relationnel qui peut constituer une première étape vers un investissement plus large dans l’espace social.
Lieu intermédiaire, le CdP permet aussi de créer des traits d’union avec les institutions (école, crèches, MJC, Maisons pour tous, prisons…) où les représentations des uns et des autres sont mises en travail, de sorte à ouvrir des réconciliations ou tout au moins à fluidifier les relations sociales.
3.4. Et l’École ?
C’est sans doute dans le cadre de la scolarisation que les initiatives CdP sont les plus fréquentes. En effet l’École, qui historiquement s’est construite en opposition aux logiques des milieux populaires, a beaucoup à gagner à renouer avec les parents. L’École de Jules Ferry s’est construite contre les cultures locales rurales, contre les langues régionales puisque l’époque imposait de renforcer le sentiment national et de développer le monde industriel, donc la formation de la main d’œuvre des premières industries. L’Éducation Nationale parle souvent des « parents éloignés de l’école » pour justifier des actions bienveillantes en direction des parents. Les CdP sont effectivement des lieux qui permettent aux parents de travailler sur les représentations de l’école et sur le sens de l’enseignement. Prenons l’exemple d’un CdP dans tel quartier sensible, couplé à une scolarisation précoce : celui-ci se tient pendant que les enfants sont gardés une demi-journée par semaine par la crèche voisine.
De manière plus générale, les CdP montés dans les écoles constituent davantage des injonctions que dans d’autres institutions : on tient un CdP avec des parents arrivés de l’étranger, non francophones.
4. Limites du dispositif
Le cadre d’écoles de quartiers prioritaires pose de manière plus générale la question aux CdP, de savoir « comment s’adresser au plus grand nombre et prioritairement, à ceux qui en auraient le plus besoin » (Périer, 2019, p. 99). N’oublions pas que le rapport à la parole peut être un obstacle majeur pour beaucoup. Et Périer propose d’aborder certains parents comme auteurs de projets et d’activités dans lesquels ils pourraient s’engager plus avant, en ce qu’ils mobilisent leurs compétences ou leurs connaissances. Suivant ces principes, les parents peuvent ainsi co-construire le projet à partir de bases qui leur sont familières.
Des échanges entre enseignants et parents d’un quartier de Montpellier ont ainsi pu se concrétiser au fil du temps à partir non d’un CdP mais d’un « couscous » mensuel que plusieurs mères de famille ont organisé, invitant familles et professionnels de l’école dans la cour centrale des HLM. Quelques limites ont cependant été observées : d’une part, l’absence massive des pères aux CdP ; d’autre part, il apparaît que certains parents pensent qu’ils ont de « mauvaises pratiques parentales », ou se disent qu’ils ne peuvent rien changer (ils ne se rendent alors pas aux CdP, à l’instar d’une mère célibataire qui utilise beaucoup les écrans avec ses enfants pour pouvoir pendant ce temps réaliser les taches matérielles). Notons en outre que d’autres ne disposent pas du temps nécessaire pour aller à ces réunions, ou que dès lors que les attentes des institutions s’expriment trop fortement dans un CdP, les parents y perdent leur position d’acteurs.
Une dernière limite tient dans les distances culturelles existant entre professionnels et parents, lesquelles peuvent constituer un obstacle redoutable à travers la place du langage, les places respectives de l’enfant et des parents dans la famille, le niveau d’importance attribué à tel ou tel comportement d’enfant (la politesse, l’obéissance, le regard, le contact physique…).
5. Le rôle des animateurs
Même l’animation est prise en charge par un psychologue, la posture strictement professionnelle n’est pas adaptée : dans un CdP, il n’y a personne qui « sait » plus que les autres. Dans cette situation le dispositif tourne en mode questions/réponses, ce qui désamorce la dynamique du groupe.
L’animateur recentre le débat, reformule, donne du rythme, assure chacun de la confidentialité des propos échangés, tâche d’espacer ses interventions, s’assure que chacun est libre de parler, éventuellement interroge individuellement une personne sentie comme impliquée mais qui ne s’exprime pas. Une information de type scientifique ou plus professionnelle peut être donnée pour relancer la dynamique.
L’animateur exprime aussi ses ressentis, son expérience, tout en s’effaçant dès que possible. À cet égard, la co-animation donne de meilleurs résultats avec un enseignant, un animateur, un travailleur social, à savoir que, selon un document interne non publié, 18 % des CdP sont actuellement co-animés par des parents.
En résumé la qualité des CdP repose sur le savoir-faire et le savoir-être de l’animateur (Mariller, 2019) qui doit être à la fois :
- garant du respect et de la fluidité des échanges ;
- co-chercheur insufflant une dynamique du « faire avec », où l’expertise et la compétence de chacun – parent et professionnel – sont prises en compte et valorisées. Cela équivaut à s’en tenir à une horizontalité où l’on n’attend pas la parole d’un savoir « professionnel » comme réponse première, mais une co-construction, une intelligence collective. Comme en témoignent sur ce point les animatrices du CdP de l’EPE de Metz, « nous parlons de notre relation à nos usagers comme d’une danse de salon, où il faut être à l’écoute de son partenaire, puis épouser son rythme : il nous emporte et nous lions nos mouvements aux siens pour cette création commune » (document non publié).
Références
Briand, E. (2017). Le rôle du Café des parents®, un espace tiers où se construire et co-éduquer. Le café comme archétype d’une nouvelle manière de faireinstitution ? Mémoire, Institut Catholique, Paris, France.
Macé, B. (2019). La posture de l’accueillant. Dans D. Marcelli et A. Lanchon, Les Cafés des parents®(p. 53-68). L’École des Parents/ Erès.
Marcelli, D., et Lanchon, A. (2019). Les Cafés des parents®. L’École des Parents/Erès.
Mariller, N. (2019). Préface. Dans D. Marcelli et A. Lanchon, Les Cafés des parents (p. 7-10). L’École des Parents/ Erès.
Périer, P. (2019). Des parents invisibles. L’école face à la précarité familiale. Presses universitaires de France.
Verrier, C. (2019). Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique. Erès.
Annexe : quelques indications (sources : documents internes 2022)
→ création des CdP : en majorité, des professionnels de la Psychologie et de l’Éducation Spécialisée ou Populaire, mais 39 % par des parents associés aux professionnels ;
→ les contenus : 83 % proposent un accueil et des échanges autour d’un thème prédéfini, 44 % proposent des rencontres informelles ;
→ les thématiques : si l’on prend l’exemple du CdP de Metz, qui a 13 années d’existence, celles-ci concernent prioritairement l’allaitement/sevrage du nourrisson et l’adolescence (réseaux sociaux, addictions, fréquentation, autonomie…) ;
→ les financements : 64 % des budgets viennent de la CNAF (Budget des Réseaux d’Écoute, d’Appui et d’Accompagnement des Parents [REAAP]), 11 % par autofinancement.